Carl Jung Le Livre Rouge
Agnès Vincent et Pierre Trigano
Sur la psychanalyse symbolique et l'analyse de rêve.
La psychanalyse symbolique, une voie jungienne.
Le concept du Soi.
Sur cette voie, la psychanalyse symbolique se définit comme jungienne parce que CG Jung a pensé de manière pertinente une psychanalyse des profondeurs. Il a notamment découvert de manière très expérimentale au cœur de l’inconscient la réalité spirituelle d’un processus naturel qui recherche la transmutation harmonieuse de la vie, et qui vient transcender de manière incessante le point de vue limité et figé du moi.
Cette découverte est malheureusement encore largement ignorée par les théories de la psyché les plus en vogue qui demeurent centrées exclusivement sur le moi et qui ne connaissent que les aspects destructeurs et dysfonctionnant de l’inconscient. Ces aspects existent bien sur, mais existe aussi au centre de l’inconscient un recours positif qui œuvre de l’intérieur de nous-mêmes à les réparer et à nous guérir du tragique.
Jung a pensé cette réalité intérieure positive qu’il a découverte sous le concept du Soi.
Celui-ci est le travail du divin, du transcendant, du numineux, au sein de l’humain.
Il est l’Un vivant présent au cœur de l’inconscient collectif de l’humanité, traversant de l’intérieur tous les êtres, mais se manifestant cependant d’une manière personnelle et singulière à chacun. Il est le centre de la psyché humaine, et il veut réaliser celle-ci comme un mandala vivant, une union harmonieuse des contraires qui la constituent (comme le masculin et le féminin, la raison et l’instinct etc.)
A l’inverse de ce que certains détracteurs de Jung ont projeté sur sa théorie, la tendance à l’unité que celui-ci a découverte en travail dans le Soi n’est en rien réductible au fantasme narcissique de toute puissance du moi. Le mandala vivant de la psyché ne peut au contraire se réaliser pour Jung que sur la base du sacrifice de la prétention narcissique du moi à la maîtrise, et sur son ouverture à l’Autre intérieur et aux autres extérieurs. C’est en s’abandonnant à cette pulsion du Soi et en se déprenant du point de vue narcissique de son moi que le sujet peut s’ouvrir à une relation harmonieuse au monde et à la découverte de sa vraie parole différenciée en tant que personne.
Ce lâcher prise et cette ouverture font de la quête analytique une authentique expérience spirituelle personnelle (délivrée de toute inféodation au discours collectif d’une quelconque institution idéologique et d’une quelconque religion).
L’union du Soi veut se réaliser sous une forme totalement inédite et singulière dans la vie de chaque individu : une forme inédite que ni l’analyste, ni le sujet qu’il accompagne ne connaissent
encore, et dont ils ne peuvent en rien anticiper le déroulement, au commencement d’une psychanalyse symbolique.
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Individualité et différentiation
La différenciation d’une vie ne se réduit pas en effet à une simple affirmation du moi, par exemple son affirmation «contre» un père tyrannique ou une mère peu aimante, car une telle affirmation laisserait inchangé le monde symbolique qu’il a intériorisé.
La figure du père tyrannique ou celle de la mère abusive demeurerait en fait virulente à l’intérieur de l’inconscient. S’il n’y avait qu’une simple affirmation du moi jusqu’ici écrasé par ces figures, le risque est grand qu’il s’enferme dans une surcompensation narcissique (que Jung appelle inflation du moi) consistant en une identification inconsciente à la toute puissance de ces figures : il se comporterait alors sans s’en rendre compte en père tyrannique ou mère abusive pour les autres (ou même pour certains aspects de lui-même), passant ainsi dans sa vie psychique du pôle «masochiste» au pôle «sadique», sans se délivrer jamais vraiment de ce qui l’aliène.
C’est pourquoi nous disons que la différenciation n’est pas simplement l’affirmation mais la transformation de tout le monde symbolique du sujet : non seulement la transformation du moi dans le sens d’une affirmation nouvelle pour lui, mais également la transformation de toutes les figures intérieures (familiales, transgénérationnelles, culturelles) qui constituent son monde symbolique. Il est nécessaire également que ces figures intérieures du père, de la mère etç, se différencient elles-mêmes des modèles d’origine au cours du processus analytique, de telle sorte que soit générée une refondation réelle du monde symbolique de l’analysant, une refondation intégrale de son rapport à la vie (dans le sens de l’harmonie du mandala).
Or, une telle transformation ne peut procéder uniquement de la simple volonté du moi, ou sinon elle n’aboutirait qu’à un résultat purement imaginaire. Il est également nécessaire qu’un «nouveau père», une «nouvelle mère» etc, viennent littéralement à sa rencontre dans sa vie intérieure et que cette rencontre intérieure change complètement sa conception du monde.
Tel est le sens d’une véritable transmutation spirituelle. Mais précisément, c’est dans le lent processus symbolique intérieur mis en œuvre par le Soi (notamment dans le travail des rêves) que se forment ces nouvelles figures, leurs rencontres, et la gestation de la différenciation. Ainsi, pour suivre notre exemple, pendant toute une première phase de son analyse, les rêves du sujet vont le confronter à la souffrance occasionnée par le père tyrannique ou la mère abusive, mais, sans crier gare, vont commencer à apparaître dans ses rêves des figures nouvelles, inédites, de père et de mère positifs, et vont ainsi l’inviter à repositionner sa vie par rapport à ses nouvelles figures, en se désidentifiant de ses systèmes de défense tragiques et de résistance.
Le processus d’une psychanalyse symbolique se conçoit dés lors comme l’enchaînement combiné et subtil de deux opérations : écouter le processus initiatique qui vient du Soi au travers des rêves et des synchronicités, se laisser transformer son point de vue par lui dans un mouvement de lente infusion ; et, pas à pas, répondre concrètement aux injonctions de ce processus en osant laisser émerger dans sa vie la parole authentique de la naissance à soi-même, en réalisant très concrètement l’initiation et les propositions du Soi par un changement de son rapport au monde.
Le moi cependant ne peut que résister. Au sein de son environnement, il baigne dans une identité établie toute puissante, préformée en lui depuis l’origine, pour laquelle en général le Soi ne représente rien de sérieux, qui n’est pas prête à lui faire confiance, qui préfère conserver ou réactiver sans cesse son fonctionnement habituel, son système de défense, plutôt que de s’abandonner à ce que lui suggère son processus intérieur.
A l’intérieur (pour suivre notre exemple), ses rêves lui montrent le possible de se structurer de manière nouvelle sur une figure de père ou de mère positifs.
Mais à l’extérieur, dans sa culture consciente, il est vite repris par la crainte persistante que seules les figures négatives existent et triomphent.
Le point le plus aveugle de résistance tourne le plus souvent autour de l’intégration du féminin (en l’homme comme en la femme), à savoir la capacité symbolique d’ouverture et de relation à l’autre. Cette capacité est trop marquée dans les lignées transgénérationnelles et la culture par la souffrance et la nécessité de s’en protéger.